Ce qui m’a surtout tourmenté ces jours-ci, c’est que mon encre est trop épais [sic]: j’ai beau secouer la plume, une infinité de belles pensées restent au fond de l’encrier sans pouvoir se dégourdir. Tâchez de m’avoir de l’encre fait d’après une recette qui fasse achever un livre en huit jours. Mais sans plaisanter, cet article de Shakespeare et du théâtre anglois me tracasse la tête jour et nuit. La pensée d’une traduction qui en sera faite en anglois m’est toujours présente. Je vois que cela doit décider de ma réputation littéraire en Angleterre et il n’en est past comme des François que je m’amuse à faire enrager. Je ne veux pas ne pas me mettre en opposition avec les commentateurs de Shakes[peare] soit pour la critique philologique, soit pour la critique poétique. Il faut donc que je parle de lui d’une manière et plus profonde et plus brillante qu’on n’a fait jusqu’ici. Je ne peux pas entamer la question des pièces faussement rejetées et je ne les ai pas même. J’écris à Favre pour les trouver peut-être à la bibliothèque. Mlle Randall m’obligerait beaucoup en s’informant, parmi ses connoissances qui savent l’anglois, si personne à Genève n’a ces deux volumes de supplément qui contiennent les spurious plays.
Adieu, chère amie, je lirai soigneusement vos épreuves, et je serai prêt pour aller en ville demain à trois heures.
Il n’est pas nécessaire de les demander à M. Turetini. J’ai son exemplaire qui ne les contient pas.
Autrefois je m’étois proposé de débuter en Anglois par un pamphlet, Errors and Blunders of the commentators of Shakespeare. Mais ces plaisirs de ma jeunesse sont passés, et je me contente aujourd’hui des ennemis nécessaires. Je leur dirai donc avec toute espèce de politesse qu’ils sont des chevaux, des ânes et qu’ils n’entendent rien au poète qu’ils ont critiqué. Albert a été fort sage et je n’ai qu’à me louer de lui.