Chère amie, j’ai reçu par Binet un petit paquet contenant du beau piqué pour des gilets. mais sans une seule ligne – j’imagine que ce sont des étrennes de votre part et je vous en fais mille remercîments – quoique l’imagination ait beaucoup de peine dans cette saison à se familiariser avec ces élégants gilets aériens et qu’une peau d’ours lui feroit plus d’impression.
J’ai profité du retour de Binet pour vous envoyer le livre de Gœthe plus vite, il m’a promis que vous l’auriez samedi.
Faites attention à la description du sacrifice – il est curieux que Gœthe, dans son enfance, ait pour ainsi dire inventé le paganisme, pour lequel ensuite il a marqué une prédilection de plus en plus enracinée.
Cachet vous aura apporté vendredi le journal Europa où se trouve l’article de mon frère sur Camoëns. Dites-moi s’il vous satisfait. Pour écrire sur ce sujet il faudrait que je renouvelasse mes souvenirs en relisant la Lusiade. N’oubliez pas les autres poésies de Camoëns, surtout ses poésies amoureuses, le sonnet sur Jacob et Rachel. Dans les dernières éditions on a cependant mis beaucoup de poésies sur son compte, qui sont très douteuses. Notez bien que, quoique les deux poèmes fussent contemporains, la Lusiade a paru avant la Jérusalem du Tasse.
J’ai vu dans un catalogue de livres allemands qu’on a extrait de la Biographie universelle et traduit à part votre article d’Aspasie. On ne sauroit dire que notre public laisse tomber par terre la moindre chose que vous écrivez.
M. de Watteville est revenu mais je ne l’ai pas encore vu. On a dit ici que son fils étoit nommé comte, avec un majorat de 18.000 frs de revenus. Cela n’a pas été dans les gazettes jusqu’ici, que je sache.
Mad[ame] de Freudenreich est toujours convalescente – son mari a été indisposé également. Je l’ai vu hier. II plaignoit beaucoup M. de St. Pr[iest], et il pensoit que les médecins de Lausanne attesteroient que ses infirmités ne lui permettent pas de voyager dans la saison actuelle.
Hier une société d’amateurs a donné un grand concert qui a fort bien réussi. C’étoit La Création d’Haydn et il y avoit d’assez jolis anges blonds dans le chœur céleste. Mad[ame] Haller en étoit.
Trève générale de nouvelles, elles paroissent gelées et je crois qu’elles dégèleront subitement au printemps, comme les sons dans le cor de Munchhausen.
Adieu, chère amie, ne vous offensez pas de la stérilité de mes lettres, vous voyez au moins ma bonne volonté.
Je me perfectionne dans le whist, il n’y a pas d’autre ressource dans les soirées et puis j’ai des motifs particuliers pour faire la partie.
Si vous voulez avoir le livre de Jacobi, mandez-le moi et je le ferai venir au plus vite.
Je suis toujours malheureux de n’avoir point de cheminée; le froid m’empêche de travailler, quoique je le voudrois beaucoup pour paroître dans le Journal de Frédéric et me faire lire en Autriche.