Chère amie, j’attends avec impatience des nouvelles de votre santé et de vos arrangements pour le séjour de la campagne. Vous savez bien quel plaisir j’aurai à me retrouver auprès de vous. Le tems a été si beau la semaine passée qu’on pouvait le prendre pour un commencement de printems, s’il n’y avoit pas encore quelque retour de froid à craindre.
Je n’ai absolument pu apprendre rien de nouveau depuis ma dernière lettre – il semble que tout se fait à la sourdine, cependant les choses n’en marchent pas moins.
Je me figure qu’au printemps vous aurez besoin, pour vous remettre, de quelques bains d’eau minérale.
Auguste m’a écrit une lettre charmante pleine de connoissance et de zèle d’étude, mais il faudra méditer ma réponse pour ne pas trop trahir mon ignorance dans la branche dans laquelle il travaille, ou plutôt il faudra l’avouer franchement et gayment.
Je ne m’étonne pas que Sim[onde] soit piqué contre vous – vous le faites enrager d’une manière insigne, et il finira par me reprendre en grippe, s’il lui reste encore quelque chose à faire à cet égard.
J’avois, jeudi, entièrement oublié le message de Chamisso qui, en effet, n’a pas le sens commun et me redemande au nom de Mad[ame] Chezy des livres de la bibliothèque publique de Paris, que j’ai rendus depuis dix-huit mois, et les brouillons de ce qu’elle a traduit, quoique je lui aye remis à lui-même tout jusqu’à la dernière feuille.
Il est donc toujours là, ne sachant pas à quoi s’employer et il accentue toujours ses phrases de même?
Vous ne m’avez rien mandé tout le tems de mon absence sur M. de M[ontmorency] et sur Mad[ame] Réc[amier]; on me demande aussi des nouvelles sur votre procès et je n’en entend plus parler. Que fait M. B[enjamin] C[onstant]? Où est-il? Son ouvrage paraîtra-t-il enfin? Cela rue rappelle un homme d’ici, né avec de la fortune, qui s’est fait artiste, mais qui, probablement faute de persévérance ou de talent, n’a jamais pu parvenir à peindre comme il faut à l’huile. Il se fait illusion à lui-même en disant qu’il ne veut pas s’amuser à des bagatelles: il projette des tableaux d’une grandeur colossale, il a fait bâtir une maison exprès avec une vaste salle pour lui servir d’atelier. Il passe sa vie à faire des esquisses, la maison est là, il n’y manque qu’un Michel-Ange pour mettre la main à l’exécution.
Adieu, chère amie, au plaisir de vous revoir – le dimanche il faut toujours prendre ma bonne volonté pour une lettre contenant quelque chose.