To[ute la fam]ille de M. de Broglie a traversé heureusement ces tristes jours d’épidémie; le cholera [a été cepen]dant assez violent dans le bourg voisin du chateau: sur une population de 700 âme[s, cinqua]nte personnes ont été attaquées et vingt deux ont succombé. M. de B. avoit fait venir de Paris un medecin qui avoit traité les cholériques dans les hopitaux & qui a fait pour les malades tout ce qu’il étoit humainement possible de faire: depuis plus de trois semaines aucun nouvel accident n’est arrivé; Nous espérons que tout est fini, ici comme à Paris. Il eut été certainement à désirer que ce triste spectacle fût épargné à Mde. de Broglie. Après le cruel malheur qui l’a frappée c’étoit trop que cette agitation & ces terribles inquiétudes de chaque jour: Mais M. & Mde de B. ont pensé qu’ils ne pouvoient pas laisser le lieu qu’ils habitent livré sans secours intelligens à la violence de la maladie: Ils ont été arrêtés par cette idée de devoir. Le voyage sur les bords du Rhin auroit evité tout cela. Ces bords du Rhin sont toujours pour la famille un sujet d’entretien et Bonn est le point où vont aboutir tous les projets de voyage. J’espère que l’année ne se passera pas sans que vous ayez vu chez vous, Monsieur, cette famille qui vous est si tendrement attachée. Vous seriez profondément touché, j’en suis certain, du souvenir que votre dernier voyage a laissé ici: tout cet interet si vif que votre entretien apportoit dans la vie se rattache aussi aux derniers jours heureux où Pauline étoit encore là. – Albert viendra vous expliquer ce qu’il sait de Latin, de Grec & d’histoire. C’est à présent un des généalogistes les plus distingués, du bourg de Broglie. Il a composé dans les momens de loisir des tables exactes de toutes les races royales qui ont passé dans ce monde et cela avec des détails infinis qu’il va chercher en furetant dans tous les livres – Il pousse l’exactitude en ce genre jusqu’à avoir écrit sur ces tableaux la mort de Ferdinand 7., très prématurément tué par les journaux – Je ne suis pas bien sûr, que malgré sa bonne nature, Albert n’ait été un peu désappointé en voyant démentir cette nouvelle qui fesoit une râture dans sa généalogie. Tous ces travaux scientifiques n’empêchent pas qu’il ne prenne beaucoup d’exercice, suivant vos conseils. Il court, quatre ou cinq heures par jour au grand air. J espère que vous le trouverez grandi & surtout fortifié.
Je vais écrire à l’instant à Paris pour ce recueil de M. Schall & aussi pour la [2] nouvelle publication dont vous avez la bonté de me parler. Je suis très heureux que Vous veuillez me permettre d’essayer un article sur ce sujet dans les débats. L’éclat du nom de l’auteur reflétera toujours un peu sur le rédacteur de l’article; cela est généreux à vous d’écrire de temps en temps en français; pour nous, nous ne parlons plus guères cette langue: nous avons un certain jargon monstrueux qui ne ressemble à rien; je ne sais quoi de trivial et d’hyperbolique dans le style qui va sans les [...] en s’exagérant. Parmi nos raisons pour avoir la rive gauche du Rhin [...]est la meilleure que le seul écrivain qui conserve à la langue française le [...]e exquise et la mesure qu’elle avoit autrefois, habite cette frontière.
Tout ce que l’on sait, même en France, de sa supériorité d’esprit et de l’immense savoir de M. Lassen, tout ce que je vous en ai entendu dire à Paris me donne un vif désire de lire ces 70 distiques qui résument la métaphysique des Sankhyas. Je comparerais ainsi avec l’original les explications dejà données la dessus par votre savant ami l’éditeur de Proxxxx –
Depuis que le Cholera a cessé ici Mde. de B. a fait faire à ses enfans un petit voyage de huit jours en Normandie, à travers les églises Gothiques et les ruines des constructions normandes. Cette petite course les a vivement interessés. J’ai lu chemin fesant mille petites dissertations sur toutes ces ruines écrites par des antiquaires de la provence – Le plus souvent cela est à la fois lourd & frivole. La petite érudition superficielle est infiniment fatiguante. Même pour les ignorans la haute érudition vaut mieux, elle est comme la mer qui soutient presque sans effort ceux mêmes qui ne savent pas nager –
J’entends regretter tous les jours ici, Monsieur, que Vous n’ayez pas vu Broglie. Mde de B. disoit hier qu’il manquoit à B. d’avoir été vu par vous. Pourquoi ne viendriez vous pas l’habiter un peu l’été prochain; de là on partiroit avec vous pour les bords du Rhin jusqu’à Bonn. Qui empêcheroit le roman de se réaliser.
Tout est fort calme dans notre monde politique. Je crois que le problème le plus compliqué est de savoir si M. Dupin sera ou ne sera pas ministre. Vraiment nous sommes sortis depuis deux ans de crises plus violentes que celle-là. Avez vous daigné jeter un coup d’œil sur l’éloge de M. Cuvier par cet incroyable académicien – Je ne doute pas que votre sentiment si délicat de la langue française n’en fut révolté. La pensée y est parfaitement au niveau de l’expression; c’est une pitoyable Collection de Quolibets. On y rencontre deux ou trois [3] Calembourgs qui ne sont peut-être pas tout à fait neufs mais qui sont encadrés là avec un rare bonheur. L’académie devait mieux à M. Cuvier qu’un pareil successeur – pour moi qui ne respecte pas infiniment les réglemens académiques, j’aurois voulu quelqu’un qui représentât la science toute entière unie au talent d’écri[v]ain – ce quelqu’un fût-il étranger – ce quelqu’un eut-il été quel[quefois ap]pelé Quintilien tudesque – La grâce française, comme nous disons, [et l’élégance toute] française du style, comme nous disons encore, valent bien des lettres [de grande] naturalisation.
Toute la famille de Mde. de B. vous dit mille tendres amitiées. Albert se rappelle en particulier à votre souvenir bienveillant.
Mille et mille respects
XDoudan
[4] [leer]
[1] Envoyé le 8 Oct. un ex. de mes Réflexions