Je suis de votre avis sur lʼAlexandre de Mr Mai et jʼai été surpris de la publication dʼun livre qui, comme on dit, jouissait dʼune mauvaise réputation. Je nʼen aurais pas rendu Compte par gout & par ce quʼaupremier coup dʼœil je vis quʼil faudrait parler dʼautre chose que de son contenu et que les Ms à consulter me manquaient, mais jʼai été engagé dans cette besogne par Mr Pictet qui mʼa donné le volume à condition que je lui fournirais un article. La Bibliothéque Italienne sʼextasie sur ces précieux fragments & nʼen a rien dit de bon.
Il est singulier que le Ms. n°.4880. renfermant lʼouvrage de Julius Valerius soit acéphale comme ceux de Milan & de Turin; il faudrait donc recourir à celui dʼOxford pour avoir le commencement. Jʼai peur que le N°.4877- ne soit pas le Julius Valerius, mais ainsi que lʼannonce le Catalogue une traduction du faux Callisthêne. Il y en a dʼamplifiées, il y en a dʼabregées, toutes fort differentes les unes des autres, la Bibliothèque de Paris en a un grand nombre & Mr de Ste Croix dit quʼil en connait jusquʼà Quatorze. Le Ms. N°.8518 qui est annoncé pour etre du onzieme siecle est je crois le plus ancien de votre Bible. Vous mʼobligeriés de mʼen donner les premieres & les dernieres lignes.
Je suis bien aise que vous doutiés de lʼorigine Persâne de ces traditions sur Alexandre. Jʼen doutais comme vous & jʼai vainement cherché sur quelle [2] autorité Fabricius a pu dire que le faux Callisthene Grec était une traduction du Persan faite par Siméon Seth. Les Persans ont bien leurs Romans sur Alexandre & il le font fils dʼun de leur roi & frère de Darius Codoman. Je voudrais savoir ce que dit Ferdousi là dessus. Je connais le morceau de son poëme où il raconte comment Alexandre dêguisé en Ambassadeur vint souper chez Darius et cette anecdote adoptèe par presque tous les Romanciers dʼAlexandre se retrouve dans lʼHistoire latine dʼAlexandre, dans la version Hebraïque, dans Vincent de Beauvais. Elle doit être aussi dans Julius Valerius, mais il y a une grande lacune dàns le milieu du MS. de Milan & Mr Mai nʼa pu imprimer cette partie. Dites moi si le N°.4880 peut supplèer ce vide qui est au livre second.-
Il me parait évident que le Roman primitif (dont nos exemplaires Grecs & latins ne sont vraisemblablement que des dérivés ou des imitations) a été originairement composé en Egypte, vraisemblablement à Alexandrie & quʼon lʼattribua aux Pretres de ce pays. Le commencement des Ms. Grecs & latins rappele cette origine & le faux Joseph en Hebreu cite parmi ses autorités lʼhistoire des gênérations dʼAlexandre composèe lʼannée de sa mort par les mages dʼEgypte.
Une autre version Hebraïque de lʼHist. fabuleuse dʼAlexandre a été faite selon quelques Rabbins sur un ouvrage composé en Grec par Ptolémée Lagus. Les Egyptiens, tout comme les Persans, voulurent ménager leur amour propre, en faisant sortir leur vaînqueur des rois de leur nation & ils imaginerent les Aventures de Nectanèbe.
Ces traditions firent fortune & se répandirent rapidement, les Grecs en firent usage dans plusieurs ouvrages & leur Multiplicité, ainsi que leurs variantes (que je ne puis que soupçonner dʼapres quelques renseîgnemens, puis que je nʼai pas les Ms à ma portée) me feraient soupçonner croire que le roman primitif nʼavait pas été écrit dans leur langue. Ce serait chose curieuse si lʼon parvenait â prouver quʼils ont imité ou traduit un ouvrage Egyptien composé en langue Egyptienne. Les [3] Historiens du bas Empire & plusieurs auteurs Arabes rapportent aussi les mêmes fables. Elles existent encore en langue Armeniene & Moïse de Chorêne parle de lʼhistoire de Nectanebe.
Au treizieme siecle un Italien mit en vers latins Elégiaques lʼhistoire fabuleuse dʼAlexandre & lʼon fit plus tard de versions de ce poëme en Venitien & en Italien. xxx
On trouve des traces de ces fables dans les historiens du moyen age, dans Pierre Comestor, Gotfrid de Viterbe, surtout dans Vincent de Beauvais & plus tard dans Ste Antonin, la continuation de Martin Polonus &c.- Une des Histoires fabuleuses dʼAlexandre en latin a été imprimée plusieurs fois à Strasbourg dans le 15e siecle.
Vasquez de Lucêne dit quʼil y avait de son tems (XVe siecle) six ou sept versions françaises en rime & en prose de lʼHistoire corrompuë dʼAlexandre. On la retrouve dans les Romans dʼAlexandre de Paris & de Thomas de Kent & dans un poëme Espagnol du 19e siecle.
Enfin ces mêmes traditions se retrouvent dans le Rythme de S. Annon de Cologne & dans un ouvrage Allemand de J. Hartlieb Moller qui les donne comme tirée dʼEusêbe & sur le quel je serais charmè dʼavoir quelques renseignemens précis.
Berkelius, dans ses notes sur Etienne de Byzance (voce Βουκεφαλεια) a donné un assez long fragment dʼun Ms. Grec intitulé Βιοσ Αλεξανδρου του Μακεδονος και πραξεις. Fabricius lʼa reimprimé comme étant le commencement du faux Callisthene (Bibl. Grec. T. XIV). Vous mʼobligerês beaucoup, Monsieur, si vous pouvés me dire si cela est vrai & me donner le commencement & la fin (seulement quelques lignes) du Callisthêne.
Jʼai bien des excuses à vous faire, Monsieur, dʼune lettre aussi énorme, jʼai voulu vous donner un précis des renseigemens que vos recherches mʼavaient procurés & je compte beaucoup sur ceux que je vous devrai. Cette histoire dʼAlexandre est un vrai Roman de Chevalerie et ferme une nombreuse classe quʼil faut ajouter à celles de la table Ronde, des Amadis & de Charlemagne sur les quelles Ginguené & Sismondi ont donnè quelques détails.
[4] Jʼai pris la liberté de vous prier dʼéxaminer si lʼItinerarium Alexandri dédié à lʼEmpereur Constance se trouve dans quelque Ms, reuni à lʼhistoire de ce conquérant comme il lʼest à Milan à Julius Valerius. Cet Itinerarium est en latin épouvantable & je ne sais pas comment Mr Mai peut le comparer à Symmaque & à Ammien qui au reste nʼest pas mal bâroque. Vous ai-je dit que le tiers environ de cet Itineraire, donnè pour inédit est imprimé dans les Antiquitês du moyen âge de Muratori, comprend-t-on que cela puisse être inconnu à un éditeur Italien. Mr Mai a été un peu étonné lorsque je le lui ai appris & je le suis encore davantage quʼil ne le sache que par moi, qui ne suis pas un Docteur de lʼAmbrosienne.
Adieu, Monsieur, ne mʼen veuillez pas de mon bavardage & surtout croyés à Mon attachement & à ma reconnaissance.
Gme Favre Bertrand
Veuillês présenter mes hommages à Mesdames de Broglie & Randall & mes amitiés à Mr Sismondi. Est-il content de Paris?. Mad. Favre est infiniment sensible á votre obligeant souvenir.
Genéve 1.octe 1817..