Je vous écris pour obéïr à l’enthousiasme que j’eprouve; je vous écris parcequ’il m’est impossible de ne pas le faire, et puissiez vous vous souvenir d un homme que vous acceuilliez avec quelque bonté, quand il vint à Bonn se mettre dans le lit de Procuste que lui avait preparé Mr Niebuhr. Ce fut Mr Welker qui m’amena chez vous en 1829: Je ne passai avec vous qu’une demie heure. Je traduisais alors l’inflexible historien de Rome, j’en faisais une version interlinéaire parceque j’étais captif de mon noble original. Je lui ai ensuite consacré une notice nécrologique, donc j ai eu l honneur de vous faire hommage, et j espère que vous l’avez reçue et lue avec quelque indulgence.
Il y a quelques mois Mr de Boisjolin qui publia une biographie des contemporains me pria de me charger de votre article et de celui de M votre frère. J acceptai cette proposition qui me donnait l’occasion de relire vos ouvrages [2] Il faut l’avouer quand vous vintes a Paris en 1807 j étais rhétoricien et je fus du nombre de ceux que votre parallele facha, sur la foi de leurs maitres et de l’echarpe. Il faut l’avouer encore; quand vous fites imprimer votre système continental, je fus moins frappé de la profondeur et de la sincerité de vos vues, de la moderation et de la convenance de votre style, qu irrité de vos attaques contre celui pour lequel j’avais pris les armes parceque c était en même temps defendre ma patrie. Mais quelle révolution s’est faite en moi depuis. J ai relu ces deux écrits et l’impression qu’ils m ont faite n’a en rien alteré l admiration qu’on doit à un homme qui se montre écrivain si correct et si-pur dans une langue qui lui est étrangère. On se demande où prend votre génie tout le temps nécéssaire à penétrer dans toutes les litteratures des bords du Gange aux rives de la Tamise. Vous n êtes point le traducteur de Shakespear et de Caldéron, vous en êtes une vivante incarnation, et votre âme non contente de nous donner des reflets aussi brillans que la lumière elle-même, produit [3] encore les compositions les plus élevées et les plus gracieuses. Je ne cesse de relire Arion, Pygmalion et cet hymne du soir et ces chants funèbres où respire une si douce, une si religieuse mélancolie. Enfin Monsieur, je vous dois des jouissances indicibles, et votre cours de litterature dramatique est plus qu’un livre didactique, c’est un chef d oeuvre littéraire qui m’a convaincu parcequ’il m’a entrainé.
Faire un article biographique sur quelqu’un qu’on ne connait pas, ou que l’on ne connait que par son génie serait une chose ridicule, s il ne s’agissait plutot de l histoire intellectuelle de l homme que des évènemens de sa vie. Toutefois j’ai pour les faits le Conversations lexicon. j attends, et n’ai point encore reçu un article du Zeitgenossen qu on me dit enfin sur votre compte si vous aviez soit pour vous, soit pour feu M votre frère quelque erreur à notifier, ayez la bonté de me l’indiquer. Je serai reconnaissant de tous les details que vous voudrez bien me donner; mais le plutot sera le mieux car les changemens ne pourront se faire que sur épreuve [4] Il y a deux mois que je vous en ai fait prier par M Welker mais est il à Bonn? Ordinairement il me répond exactement. N’importe, si cela me vaut un mot de vous. N’épargnez pas les indications; je suis peu au courant de vos dernieres productions. avez vous donné le Ramayana? Vous m avez parlé aussi d un écrit sur le changement de religion de M votre frère.
Il m’a été impossible enfin de me procurer votre Geographie d’Homère, votre commentaire sur la traduction de fragmens du Dante, et votre écrit sur les Niebelungen ainsi que votre morceau italien sur les chevaux de Venise. Je dis impossible, dans le délai donné, car ils viendront, mais trop tard pour l’écrivain, toujours à temps pour le lecteur. Je n ai pas non plus ce que vous avez dit sur notre litterature provencale.
Encore une question. Serez vous pendant les vacances à Bonn? j’aurai bien de la peine à n’y pas faire un pelerinage je montrerais en même temps le Rhingau à ma femme. Voyagez vous vers le midi? que mon vieux chateau vous sera de lieu de repos; il est au pied des Vosges en face du Rhin et des monts [5] Abnoba: nous serons heureux de vous recevoir et l’histoire en parlera plus que du vieux chapeau que Frederic IV y a oublié au 15e siècle, car vous lui appartenez par la tête et non par la coiffure.
S il m était permis de vous adresser une question encore je vous demanderais ce qui est donc arrivé à Monsieur Welker au sujet duquel j ai lu un mot assez obscur dans un journal Il donne de bien bons morceaux à notre institut archéologique de Rome. Si vous aviez la bonté de le gronder sur son silence envers un homme qui lui est sincerement attaché, vous feriez un acte de justice. Je serai bien aise aussi de connaitre ses projets Agréez Monsieur l’expression de la haute admiration et de l entier devouement avec lesquels J’ai l honneur d être
Votre tres humble et tres obeissant serviteur
P de Golbéry
conseiller à la cour royale de Colmar conseiller de l’institut de France
ce 17 juillet.
[6] Monsieur
Monsieur A W de Schlegel
à l’université de Bonn,
à Bonn
Prusse Rhénane.
[1] Répondu le 7 Août − d. 13 Aug die Schrift; Berichtigung sous bandes abgeschickt