Vous êtes bien aimable, Monsieur, de vous être souvenu de nous à la fin de cette année que nous avons si tristement parcourue et qui ne nous a rien rapporté dont le souvenir nous puisse être agréable et consolant. Les années s’écoulent ainsi; elles s’accumulent emportant avec elles nos joies et nos espérances
Lorsque je vous ai connu, pour la première fois, vous aviez déjà une grande et juste réputation; j’étais déjà parvenu moi même à la maturité de la vie; mais nous avions encore des liens nombreux et de belles perspectives. Que reste-t-il maintenant de tout cela? J’ai vu successivement passer quatre générations dans la même famille; j’ai vu disparaitre, tour à tour Madame de Staël, ses deux enfants, ma fille ainée, et le fils ainé de ma seconde fille, le seul que ma pauvre femme ait connu. après de tels [2] évenements, ce qui reste de vie est décoloré et solennel. Je n’ai pu, comme vous, prendre le parti de me retirer tout à fait du monde et des affaires, pour me consacrer tout entier à l’étude et à la méditation; mais autant qu’il dépend de moi, et en ce qui ne concerne que moi, autant que l’avenir de mes enfants me le permet, je vous imite, et j’espere que le moment viendra, où rien ne me retiendra plus dans un monde, et dans des affaires aux quels je ne suis plus propre. Je pourrai alors mieux disposer de mon temps, et passer avec vous quelques moments que les souvenirs du passé me rendront bien doux. Je suis fort touché de votre bienveillance pour Albert, et je vous le menerai dès qu’il aura terminé ce qu’on peut faire ici d’études de droit; je compte le faire voyager en Allemagne pour y apprendre le droit véritablement scientifique, et je le recommanderai à vos bontés. Veuillez, en attendant, Monsieur, me conserver quelque amitié, et compter sur mon inaltérable attachement.
V. Broglie
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