Vous ne devez pas vous faire, à ce qu’il parait, Monsieur, une grande idée de ma sagacité, car je doute que les Princes Allemands à qui vous avez soumis vos charmants cassetete aient aussi mal réussi que moi. Votre projet sur l’Institut me sourit, mais il me parait bien absolu: j’ai grand peur que la Science ne s’en aille assez grand train de notre pauvre chambre des députés, sans qu’on la mette encore dehors par les épaules. Les professeurs ne sont déja pas si nombreux et surtout ils y font assez pauvre mine. Monsieur Arago, qui, du reste, passe aussi de mauvais moments à l’Institut, s’est fait l’autre jour universellement moquer de lui par toute la chambre. Un autre grand homme, de l’Institut Aussi, et professeur encore, et de philosophie, qui pis est, disait en hochant gravement la tete et d’un ton d’Oracle: Arago n’a pas fait un discours, il a fait un vomissement. le jugement de l’Illustre disciple de la Philosophie Brossaise, de Mr Royer Collard lui même, sur un de ses confrères ne figurerait il pas bien dans les Considérants [2] du projet de loi que nous devons rédiger en commun. Le passage d’Aristophane m’a, je m’aperçois presque engagé à vous rendre la pareille, mais quel Aristophane, en conscience, que Mr Royer Collard.
Mais voyez un peu la barbarie de vos projets: vous fermez la tribune aux professeurs, et vous ne leur laissez pas même les Séances hebdomadaires de l’Académie. Et que voulez vous qu’ils fassent des flots d’éloquence qu’ils amassent, et où voulez vous qu’ils trouvent le plaisir de détester quelqu’un; ce qui est pourtant une petite jouissance sans laquelle on ne saurait vivre. Je m’interpose pour qu’on leur laisse ouvert le Palais Bourbon où l’Institut, pour qu’on leur laisse, au moins, faute de mieux, décréter, à l’article E du Dictionnaire, qu’une Ecrevisse est un insecte à la peau rouge qui marche à reculons. Vous savez que sans Mr Cuvier, qui fait la liberté de leur faire remarquer que l’Ecrevisse n’était point une insecte, ne marchait point à reculons, et n’avait de peau rouge que sur leurs tables, l’article malencontreux aurait fait le bonheur des malveillants des bords du Rhin – A propos de bévues, je consens [3] à m’humilier de toutes celles que vous me reprochez, sauf une que je défends et pour laquelle je demande ma réhabilitation: Le Comté de Ross se trouve sur la Carte, et je crois que le Rébus portait qu’il fallait retrancher la dernière lettre; sans quoi je n’aurais pas fait ce tort aux estimables bites dont vous parlez. Ayez la bonté de me relever dans votre Considération et d’ajouter le Pô en place du Rhin, vous aurez ainsi les bornes exactes de mon mérite.
Pour faire thèse à toutes ces plaisanteries très peu respectueuses pour le Corps enseignant, vous demandez, je crois, Monsieur, avec votre bonté accoutumée, ce que nous comptons faire cet été: mon père a l’Intention de quitter Paris au Commencement de Juillet, pour aller à Broglie, et de là au mois de Septembre voir ma tante et mon frère à Coppet. Vous pensez bien que si vous imaginiez la bonne intention de venir, tout serait changé, et qu’aucun projet ne tient là contre. Mais nous n’osons l’espérer: j’ai pense que c’est à moi d’aller vous voir, et d’ici à peu de temps, quand [4] je serai libre, je serai bien empressé de le faire. Ma liberté n’est, du reste à présent pas bien enchainée car je suis dans une sorte d’état intermédiaire entre mon droit que je n’ai pas commencé, et les études du collège que j’ai finies, et que je voudrais continuer à part moi. C’est le point difficile et sur lequel j’aimerai bien à vous consulter. Il est malaisé de passer d’un travail de simple écolier à une étude sérieuse, et où l’on se propose de jouir plus que d’apprendre. C’est le dessus, et sur tout le reste, que j’ai bien envie d’aller, d’ici à peu vous consulter, et que j si vous me conservez votre bienveillance, et si vous voulez bien ne pas douter de mon respectueux attachement
A. Broglie