• Albert de Broglie to August Wilhelm von Schlegel

  • Place of Dispatch: Broglie (Eure) · Place of Destination: Berlin · Date: 16. Juli [1841]
Edition Status: Newly transcribed and labelled; double collated
    Metadata Concerning Header
  • Sender: Albert de Broglie
  • Recipient: August Wilhelm von Schlegel
  • Place of Dispatch: Broglie (Eure)
  • Place of Destination: Berlin
  • Date: 16. Juli [1841]
  • Notations: Empfangsort und Datum (Jahr) erschlossen. − Datierung durch Notiz des Empfängers.
    Manuscript
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: DE-611-38973
  • Classification Number: Mscr.Dresd.e.90,XIX,Bd.4(3),Nr.21
  • Number of Pages: 4 S. auf Doppelbl., hs. m. U.
  • Format: 20,3 x 13,1 cm
  • Incipit: „[1] Broglie, Vendredy 16 juillet 41.
    Vous pardonnez peut être, Monsieur, à un malheureux qui, depuis votre aimable lettre, a toujours [...]“
    Language
  • French
    Editors
  • Golyschkin, Ruth
  • Steffes, Franziska
[1] Broglie, Vendredy 16 juillet 41.
Vous pardonnez peut être, Monsieur, à un malheureux qui, depuis votre aimable lettre, a toujours été enfermé, dans les serres d’un examen de droit, de n’avoir pas plutot répondu à tant de prévenances: à peine suis je échappé et accouru ici, que je rouvre votre lettre pour ne rien oublier de tout ce que vous avez la bonté de me demander, et je crains que l’adresse que vous m’y indiquez ne voit plus de mise. Je me risque cependant: une lettre qui porte votre nom ne court pas grand danger de se perdre en allemagne. Ce sera quelques jours de retard de plus que vous imputerez à ma paresse, ou si vous avez un peu d’indulgence à
la faculté de Droit.
Ma sagacité en effet n’a pas été grande de n’avoir pas deviné d’après la nature de vos occupations que les vers que vous me faisiez l’honneur de m’adresser était du
grand Frédéric. Ce n’était pas seulement la cause de votre voyage à Berlin qui devait m’éclairer: le plus simple raisonnement pouvait me servir, un raisonnement [2] qu’on dit à la portée des animaux même: vous savez que quand un chien arrive en chasse dans un carrefour, où trois chemins se croisent, s’il a flairé sans succès les deux premiers, il part par le troisième: j’aurais pu calculer de même: les poètes qui font de vers français méconnaissables n’abondent pas au delà du rhin: du moment qu’ils n’étaient pas de vous, de qui auraient ils pu être que du Roi de Prusse?
Est ce que par hazard les politesses de
M. de Lamartine n’auraient pas eu en Allemagne tout le succès qu’elles espéraient trouver? C’est vraiment de l’aridité. Nous avions payé M. Beker dans une monnaye qu’il ne nous avait certainement pas donné a la presse française, qui n’est guères courtoise d’habitude, trouvait cette homélie pacifique admirable. Mais il parait que pour vivre en paix il faut être deux, et que le meilleur moyen est d’être deux pour tant de bon, et de ne pas tant s’effacer. La leçon est bonne et vaudrait qu’on en profite.
Le morceau que vous m’envoyez est en effet empreint de l’esprit équitable de la République Françoise: elle avait inventé une admirable manière d’alterner ses bienfaits vers ses sujets
[3] en ruinant les riches au profit des pauvres: de cette manière les pauvres seraient devenus riches et les riches pauvres, et alors on aurait recommencé. Mais malheureusement il n’y a qu’un des deux essais qui ait réussi. Aussi y a t-il en France beaucoup de personnes qui veulent recommencer, pour s’y mieux prendre; et d’autres qui ont moins de foi, et redoutent l’expérience. C’est toute l’histoire de ces dix dernières années.
On dit en effet ici des amours du
Roi de Prusse. C’est vraiment jouer de bonheur d’avoir une race aussi heureuse; aussi prudente, aussi distinguée pendant quatre à cinq générations sur le trone. Il fallait cela à un gouvernement qui a toujours besoin d’un homme, pour le maintenir intègre et uni. Chaque changement de regne doit causer un moment d’angoisse, et l’on doit se trouver bien heureux quand il n’y a qu’à se louer du changement.
Mon père compte passer à peu près deux mois ici, et s’en aller ensuite a Suisse. Peut etre savez vous que Madame de Staël vient de perdre sa mère, et qui était une personne d’une admirable piété et d’une véritable distinction. C’est une douleur générale à Genève [4] ou cette famille est très aimée, et chaque année met par de nouveaux malheurs cette affection à l’épreuve. Ma pauvre tante n’a point de relache, et nous craignons que sa santé, déjà ébranlée, ne s’attire encore de ce dernier coup. Aussi sommes nous fort impatients de la revoir: mais toutes ces allées et venues n’auraient d’interêt pour vous qu’autant que vous penseriez à nous venir voir, et rien ne l’annonce maintenant que vous en êtes plus éloigné que jamais. Souffrez que je m’en plaigne, Monsieur, et que je vous prie d’agréer l’assurance de ma respectueuse affection.
Broglie
[1] écrit le 21 fevr. 42
[1] Broglie, Vendredy 16 juillet 41.
Vous pardonnez peut être, Monsieur, à un malheureux qui, depuis votre aimable lettre, a toujours été enfermé, dans les serres d’un examen de droit, de n’avoir pas plutot répondu à tant de prévenances: à peine suis je échappé et accouru ici, que je rouvre votre lettre pour ne rien oublier de tout ce que vous avez la bonté de me demander, et je crains que l’adresse que vous m’y indiquez ne voit plus de mise. Je me risque cependant: une lettre qui porte votre nom ne court pas grand danger de se perdre en allemagne. Ce sera quelques jours de retard de plus que vous imputerez à ma paresse, ou si vous avez un peu d’indulgence à
la faculté de Droit.
Ma sagacité en effet n’a pas été grande de n’avoir pas deviné d’après la nature de vos occupations que les vers que vous me faisiez l’honneur de m’adresser était du
grand Frédéric. Ce n’était pas seulement la cause de votre voyage à Berlin qui devait m’éclairer: le plus simple raisonnement pouvait me servir, un raisonnement [2] qu’on dit à la portée des animaux même: vous savez que quand un chien arrive en chasse dans un carrefour, où trois chemins se croisent, s’il a flairé sans succès les deux premiers, il part par le troisième: j’aurais pu calculer de même: les poètes qui font de vers français méconnaissables n’abondent pas au delà du rhin: du moment qu’ils n’étaient pas de vous, de qui auraient ils pu être que du Roi de Prusse?
Est ce que par hazard les politesses de
M. de Lamartine n’auraient pas eu en Allemagne tout le succès qu’elles espéraient trouver? C’est vraiment de l’aridité. Nous avions payé M. Beker dans une monnaye qu’il ne nous avait certainement pas donné a la presse française, qui n’est guères courtoise d’habitude, trouvait cette homélie pacifique admirable. Mais il parait que pour vivre en paix il faut être deux, et que le meilleur moyen est d’être deux pour tant de bon, et de ne pas tant s’effacer. La leçon est bonne et vaudrait qu’on en profite.
Le morceau que vous m’envoyez est en effet empreint de l’esprit équitable de la République Françoise: elle avait inventé une admirable manière d’alterner ses bienfaits vers ses sujets
[3] en ruinant les riches au profit des pauvres: de cette manière les pauvres seraient devenus riches et les riches pauvres, et alors on aurait recommencé. Mais malheureusement il n’y a qu’un des deux essais qui ait réussi. Aussi y a t-il en France beaucoup de personnes qui veulent recommencer, pour s’y mieux prendre; et d’autres qui ont moins de foi, et redoutent l’expérience. C’est toute l’histoire de ces dix dernières années.
On dit en effet ici des amours du
Roi de Prusse. C’est vraiment jouer de bonheur d’avoir une race aussi heureuse; aussi prudente, aussi distinguée pendant quatre à cinq générations sur le trone. Il fallait cela à un gouvernement qui a toujours besoin d’un homme, pour le maintenir intègre et uni. Chaque changement de regne doit causer un moment d’angoisse, et l’on doit se trouver bien heureux quand il n’y a qu’à se louer du changement.
Mon père compte passer à peu près deux mois ici, et s’en aller ensuite a Suisse. Peut etre savez vous que Madame de Staël vient de perdre sa mère, et qui était une personne d’une admirable piété et d’une véritable distinction. C’est une douleur générale à Genève [4] ou cette famille est très aimée, et chaque année met par de nouveaux malheurs cette affection à l’épreuve. Ma pauvre tante n’a point de relache, et nous craignons que sa santé, déjà ébranlée, ne s’attire encore de ce dernier coup. Aussi sommes nous fort impatients de la revoir: mais toutes ces allées et venues n’auraient d’interêt pour vous qu’autant que vous penseriez à nous venir voir, et rien ne l’annonce maintenant que vous en êtes plus éloigné que jamais. Souffrez que je m’en plaigne, Monsieur, et que je vous prie d’agréer l’assurance de ma respectueuse affection.
Broglie
[1] écrit le 21 fevr. 42
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