Direction Politique.
Paris, le 12 mai 1842
que devez vous penser de moi, Monsieur? d’abord que je suis très malhonnête, puis que je suis très ignorant: en effet ce serait bien le moins que pour avoir fait attendre si long temps un aussi mince détail historique que celui que vous m’avez fait l’honneur de me demander, je pusse vous donner à cet égard quelque chose de positif. Il n’en est rien, je suis aussi ignorant en Généalogie qu’en mathématiques: et voici tout ce que je puis vous dire: le premier Broglie, qui est venu en France servait Mazarin, et était même le seul qui fût resté avec lui, au moment de la Fronde, lorsqu’il sortit de Paris, en 1652, je crois, par une porte dérobée. Celui là est mort vers 1658 ou 9, et sur son tombeau à Turin, il y a écrit en toutes lettres, François Amédée Broglia. Tous ses ancêtres avaient porté ce [2] jamais il n’y a eu le moindre o dans la famille, excepté dans la première syllabe. Maintenant j’ai retrouvé l’autre jour une pièce du petit fils de celui là, datée de 1714, et signée en toutes lettres Broglie. Ainsi l’a a disparu sous le règne de Louis 14: il avait complètement été rejeté sous le règne de Louis 15, et n’était plus donné que par des personnes malveillantes, comme un signe de l’origine étrangère de la famille. quant au mot Broglio, c’est un mot barbare dont aucun papier ne porte la trace.
Je cache ma profonde ignorance sous bien des mots, je joins encore un détail: la terre de Chambrais a été érigé en duché de Broglie en 1744: et n’a jamais porté d’autre nom: j’ai vu moi même de mes yeux cette année le titre d’érection:
Vous etes bien bon de demander des nouvelles de toute notre famille. Je n’en ai malheureusement que d’assez médiocres à vous [3] donner: nous attendions Madame de Staël, il y a un mois: elle a pris une grippe épouvantable, qui lui a laissé une grande foiblesse: et après cette grippe, l’irritation s’est jetée sur l’estomac: tout cela la retient loin de nous: nous ne désespérons pas encore de la voir; mais ce mal, sans vous inquiéter, nous contrarie, comme vous pensez beaucoup.
L’Académie a évité M. Vatout: mais ce n’est pas sans peine: des hommes d’état éminents ont voté pour lui, ce qui est un signe – que la France est quoiqu’on fasse un pays extrêmement monarchique. Je ne sais si vous connaissez la personne qui l’a supplanté. On dit que c’est un homme d’assez d’instruction. A l’académie il passe pour un érudit – Je ne sais si vous aurez jeté un coup d’œil sur une interminable discussion qui a eu lieu à la Chambre à l’occasion des Chemins de fer. Vous verrez que l’exemple de l’Allemagne nous a piqué d’honneur, et puis maintenant on dit que cet exemple est fort [4] exagéré et que vous avez beaucoup moins de chemin de fer que nous ne pensions. Il est vrai que c’est M. Thiers qui a dit cela: il est vrai aussi que partout ou il passe, il passe vite, il voit plus vite encore. Cependant si vite qu’il ait passé, peut il avoir été plus vite que les chemins de fer?
Paris du reste est très monotone: la politique a été stationnaire tout l’hiver, et la littérature encore plus. Un malheureux enfermé six heures par jour dans un bureau n’a rien de mieux à vous offrir que les nouvelles de l’Académie: car vraiment rien ne vous force à entendre le très déplorable récit du désastre de l’autre semaine, dont Paris entier s’entretient, mais qu’il serait trop dur d’imposer à ceux qui n’y sont pas. Permettez donc moi de vous prier, malgré l’insipidité de ma lettre, de croire à mon affection respectueuse.
Broglie