Pendant les six semaines que jʼai passées à Londres, mon cher Schlegel, jʼai mené tellement une vie de galère que je nʼai pas eu, à la lettre, la possibilité de Vous écrire. Entre Victor à qui je devois servir de Cicerone, les dévôts qui me suivoient à la piste pour mʼattirer à la bonne cause, et les mondains à qui je devois des politesses, les vingt quatre heures étoient combles; mais les faits feront foi que je me suis occupé de Vous - Jʼai remis Vos lettres et les exemplaires dont Vous mʼaviez chargé: jʼai été voir à Votre intention Wilkins et la bibliothèque de la compagnie des Indes; et jʼai recueilli les plus de renseignemens que jʼai pu.
La collection de Sir Robt Chambers nʼest point à vendre, du moins pour le moment - Je crois du reste quʼil ne seroit pas impossible de trouver des manuscrits à acheter, mais cʼest une besogne dont Vous seul pouvez Vous acquitter. Wilson et Colebrooke sont absens, Wilkins se fait vieux; peut-être [2] aussi seroit-il jaloux de ce que le Rhin veut avoir ses Bramines comme le Gange - Quant à des Pagodes et autres menues reliques de Vishnou, rien de si facile, mais encore faut-il choisir et personne ne peut Vous suppléer. Il faudra donc que Vous veniez ici lʼannée prochaine -
Les lois de manou ne sont point à avoir en Angleterre, il nʼen existe que deux ou trois exemplaires au collège de Hertford et à la Compe des Indes, et Wilkins croit quʼà Calcutta même lʼédition est épuisée.
Mais voici qui vaut mieux et jʼespère que Vous allez me porter aux nues. Je me suis fait donner en pur présent pour Vous une collection de peintures indiennes qui représentent toutes les castes et leurs diverses subdivisions - Vous en avez lʼobligation à Sir Alexander Johnston qui a rempli à Ceylan les mêmes fonctions judiciaires que Mackintosh aux Indes. Ce nʼest pas un homme très-profonde mais il a des connaissances variées, il a lu vos ouvrages en Allemand, il parle fort bien françois [3] et Vous lui devez dʼautant plus une lettre de remercîmens quʼil pourra Vous être fort utile par ses relations avec les Indes. Il est obligeant et communicatif; je Vous exhorte donc à lui écrire tout de suite à Londres 19 Great Cumberland Place - Je vais joindre Votre livre de peintures à un envoi de livres que jʼexpédie à Paris dʼoù il sera bien aisé de Vs le faire parvenir.
Pour en finir du Sanscrit, je suis à peu-près certain que Messrs Baldwin ont reçu pour Vous un livre des Inde[s] [mais] je ne sois lequel: donnez-moi des instructions.
Voici mes projets: je passe 15 jours ici par ce quʼon mʼ[assure] que ces eaux purgatives me gueriront de mon hypocondrie; je retourne toucher barres à Londres, et jʼen repars avec Brougham pour York où je le laisserai et mʼacheminerai vers lʼEcosse. Je serai de retour en France, sʼil plait à Dieu, vers le milieu de Septembre: et sʼil me reste du temps et de lʼargent il nʼest pas impossible que jʼaille faire une visite à Albertine avant son départ pour lʼItalie - Adieu, cher ami, ma lettre est trop longue pour Vous parler de lʼAngleterre; dʼailleurs jʼai vécu de chicane et de débats parlementaires, gibier [4] que Vous nʼarrivez pas. Il est possible que Mad. d. Ste Aulaire passe à Bonn cet été: donnez moi des nouvelles exactes de sa santé, je Vous en prie - Adieu, cher ami, écrivez-moi, jʼen serai très-reconnoissant car en masse jʼéprouve plus dʼadmiration que de sympathie, et je suis fort triste. Vale et me ama - Jʼoubliois de Vs dire que jʼai aussi pour Vous un beau fac-simile dʼune inscription trouvé dans les ruines de Babylone, et que personne ne peut deviner.
Profr A. W. von Schlegel
Bonn
Prussian Provinces on the Rhine