Monsieur,
J’ai donné, il y a dejà quelque temps, à un savant orientaliste qui est je crois connu de vous, à M. Möll la lettre sur les contes Arabes que vous destiniez à M. de Sacy. J’ai eu occasion de rencontrer assez souvent cet hyver dans la même maison M. Möll et M. Fauriel. Après avoir remis cette lettre à M. Möll, j’ai averti M. Fauriel et tout a été fait suivant vos intentions.
J’enverrai sur le champ vos articles sur Rossetti à M. Buloz.
Je viens recemment de voir avec stupeur que les prétendues négligences du Journal des Débats étoient miennes.
Longae.
Ambages sed summa sequar fastigia rerum.
Après avoir communiqué une première fois le morceau sur le Dante à l’un des principaux rédacteurs du Journal et avoir vu qu’il était trouvé excellent, je l’ai retiré cependant, dans l’intention d’adoucir certains passages. Vous vous souvenez que je vous en avais demandé la permission. Je relus et trouvais que le tout étoit bien, quoique fort vif. Je fis une belle enveloppe à votre manuscrit, je le cachetai bien soigneusement, puis vint, dans la vie que je menais alors, une affaire, deux affaires - et je crus avoir envoyé le paquet et je raisonnais depuis sur cette hypothèse erronnée. Tout [2] dernierement on m’a renvoyé du ministère un carton fermé à clef, plein de papiers à moi appartenant et j’ai retrouvé avec effroy le manuscrit cacheté soyez donc assez bon, Monsieur, pour
„Que la foudre en éclats ne tombe que sur moi”
Et en même temps que le carreau que vous me lancerez ne soit que de moyenne grandeur - car je vivais alors sous de telles vagues de papiers que le bruit de cet Océan m’étourdissait un peu.
Je vous dois d’autant plus les détails que le Journal des débats m’a toujours montré pour vous une admiration bien juste mais bien sentie et que si mon étourderie le privait à l’avenir des articles que vous lui eussiez destinés, je serais la cause d’une cruelle injustice.
J’ai la plus grande peine à croire que vous puissiez jamais être, comme vous le dites, découragé, hypochondre, indolent, insouciant et léthargique. Ces dispositions là ne peuvent guères s’attaquer à un esprit tel que le vôtre. Vous avez, de compte fait, plus de mouvement qu’il n’en faut pour tenir en haleine une douzaine d’organisations ordinaires - et puis j’ai vu que vous aviez une hygiène intellectuelle assez savante pour déjouer toujours tous les efforts de l’ennui et du découragement. Quoiqu’il en soit, la campagne vous est bonne en tout cas. Il faut venir voir vos amis sous les grands arbres de Broglie.
Nil dulcius est bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena
despicere unde queas alios.
C’est votre demeure naturelle que ces temples edita doctrinâ sapientûm - on ne me paraît pas dutout disposé à se payer ici de vos fins de non venir. Elles ne paraissent point acceptable - et vous recevrez un nouveau mandat de Comparution.
(29 Juin) - Nous apprenons à l’instant une nouvelle et épouvantable tentative contre la vie du Roi - faite le 25. à six heures du soir. Le coup a manqué - la main qui détourne ces coups est plus persévérante et plus habile que la perversité la plus savante.
Milles respects
X Doudan
M. de Broglie est à Paris. Tout le reste de la famille vous dit milles & milles tendresses.
[3] Mde. de Broglie a été un peu souffrante. Elle me charge de vous dire qu’elle va vous écrire pour vous sommer de venir ici passer l’automne.
[4] [leer]
[1] reçu le 3 Juillet