Monsieur,
Ce serait vraiment pour moi réaliser un de mes plus beaux rêves que d’aller passer auprès de vous quelques jours de cet été. Aussi ai-je été plus touché que je ne saurais dire de la proposition que vous aviez la bonté de me faire: j’aurais voulu retourner à Athènes, c’est à dire retrouver chez vous les conversations dont j’ai un souvenir si vif. Vous avez gardé la flamme qui s’éteint à peu près partout; ne vous semble-t-il pas qu’on ne fait plus aujourd’hui en tout genre que du commérage ou des extravagances, et qu’en littérature on ne sort de la loge du portier que pour entrer dans une loge de charenton. Que dites vous par exemple de nos petits romans en feuilletant, si vous prenez sur vous d’y jeter les yeux. Mon malheur est que je suis tracassé par une petite fièvre qui ne me permettra vraisemblablement aucun voyage cette année. J’apprends avec chagrin par votre lettre que vous n’avez pas vous même à vous louer de votre santé; ceux qui ont pu avoir l’honneur de vous voir récemment disent pourtant qu’ils ont trouvé vos entretiens aussi animés que jamais; mais il est vrai que le mouvement de la conversation n’empêche pas la tristesse de reprendre le dessus dès qu’on est seul. J’ai peur que le sentiment d’isolement et la nouvelle solitude de votre maison n’augmente votre état de souffrance physique. Quelque puissant et quelque animé que soit l’esprit, il faut chaque jour un peu de relâche dans le repos agréable de la vie privée. J’ai idée que vous [2] ne savez pas assez combien vous feriez de plaisir à vos amis si vous veniez vous reposer ou pendant l’automne en Normandie ou l’hyver à Paris. Il faudra bien pourtant, si vous ne prenez la résolution de venir chez eux, qu’ils aillent quelque jour chez vous - et je crois qu’ils y sont très décidés. Je suis ici chez Md. d’Haussonville qui me demande de vos nouvelles avec le plus vif interêt et qui me charge de mille tendres souvenirs pour vous. Elle n’a oublié ni votre dernier séjour à Paris, ni le voyage à Bonn où vous avez si bien et si amicalement accueilli elle & les siens. Ce temps est hélas déja bien loin. Elle aurait un extrême plaisir à vous voir. Elle est ici à la campagne, chez sa belle mère, attendant le moment de ses couches. Albert a passé tout récemment ses derniers examens de droit, et il sera bientôt en mesure de défendre les innocens opprimés, si par hasard il y avait des innocens opprimés. M. de B. est à Coppet pour six semaines. Md. de S. reviendra avec Paul au mois d’Octobre passer l’hyver à Paris. Voilà Paul entré dans tout le sérieux des études, il parle un peu l’allemand, assez bien l’Anglais. il pourra bientôt vous répondre, je ne dis pas dans toutes les langues que vous parlez élégamment, mais du moins dans trois ou quatre de ces langues qu’il baragouine tolérablement.
Adieu, Monsieur, voulez vous bien agréer l’expression de mon tendre & respectueux dévouement. il me tarde de vous voir publier le travail dont vous avez été chargé par le Roi de Prusse, nous avons besoin que vous nous donniez des idées neuves dans un langage brillant & naturel
X Doudan
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[1] 21/VII Répondu et envoyé une copie de mes Pensées.